Réflexion par Soeur Anne-Bénédicte de Saint-Amand
Introduction
Mon projet n’est pas de faire un exposé théorique sur le charisme, mais plutôt de vous faire sentir comment ce charisme peut inspirer notre pratique éducative.
Je vous propose de réfléchir sur un point évoqué à Strasbourg : ECOUTER car l’écoute est le cœur du message biblique : Ecoute, Israël… et engendre l’intériorité, comme j’essaierai de l’expliquer.
Mon propos vous paraîtra parfois un peu décalé… mais j’espère qu’il vous conduira vers des orientations concrètes.
En ouverture de cette matinée, je voudrais évoquer la fête de Soukkot que nos frères juifs célèbrent depuis jeudi et toute la semaine.
C’est une coïncidence heureuse car Soukkot, sous un de ses aspects, est une fête de l’intériorité, à travers le symbolisme de la soukka.
La soukka est une demeure, un lieu où nous nous retrouvons au fond de nous-mêmes, dans notre intériorité habitée par « Elohim » et un lieu de rencontre bâti pour y vivre ensemble dans la joie de l’altérité : Intériorité et Altérité.
Le toit de la soukka, fait de feuillage et de plantes, n’est pas une limitation, mais une invitation au mouvement vers l’extériorité ; pour qu’une cabane soit une soukka, il faut qu’on puisse voir les étoiles à travers le toit ; mais en même temps le toit doit laisser passer plus d’ombre que de lumière ; cette part d’ombre symbolise nos manques, notre finitude.
Construction précaire qui symbolise la fragilité de nos existences, tendues entre le dedans et le dehors.
Lumière et nuit l’habitent.
Dans l’esprit de cette évocation, j’essaierai de montrer que l’intériorité est une nécessité éducative, inspirée par notre charisme, aujourd’hui.
Le charisme est un don de l’Esprit, qui par bonheur ne se définit pas car il est vital de ne pas l’enfermer dans une seule manière de la recevoir, de le comprendre, de le vivre, de l’éduquer ; il est le souffle de la respiration, habite le cœur et devient la source qui irrigue notre existence.
Je ne reprendrai pas l’exposé de Mme L’Haridon sur cette société numérique dans laquelle nous vivons, mais j’en dégagerai une question :
Ce monde de l’extériorité exclut-il tout désir d’intériorité, qu’elle soit spirituelle, biblique ou enracinée dans une autre tradition ?
Qu’est-ce que l’intériorité ?
Concept séduisant parce que perçu comme le lieu du moi profond, du mystère personnel et pourtant comment le définir ?
Si l’intériorité peut désigner le moi intérieur, comment se distingue-t-elle de la subjectivité, qui renvoie au sujet et à sa psychologie personnelle ?
Existerait-il un invisible caché sous les apparences du visible ? Un dedans et un dehors ?
Y a-t-il en chacun de nous un noyau spirituel, un cœur, une source de vie qu’on puisse identifier ?
Quelles relations entre l’intériorité et l’extériorité ?
Dans notre monde numérique, l’intériorité ne serait-elle qu’une ruse du langage ? Un espace imaginaire ? une illusion ? Un mythe ? Comment en parler ? Faut-il déconstruire ce concept pour ne pas être dans l’illusion ?
Les sciences humaines et plusieurs courants philosophiques ont tenté de déclarer la mort du sujet en le réduisant par exemple à l’une de ses composantes (biologique, sociale, linguistique etc…) niant ainsi toute intériorité.
Dans les limites de cette intervention, je ne peux pas explorer toute cette problématique, mais je la suggère simplement pour vous faire sentir la complexité de ce concept qui comme vous le verrez a une grande portée anthropologique dans notre contexte actuel et je souhaite aussi surmonter les refus d’une intériorité souvent mal comprise ou réduite à une dimension religieuse, espérant lever des inquiétudes bien légitimes.
Tout d’abord, je vous proposerai une hypothèse de réflexion que j’emprunte à la tradition biblique, qui est la sève de notre charisme.
Rappels :
l’anthropologie biblique se déploie autour de 4 éléments-clés bien connus que je me permets de rappeler car ils structurent la personne et éclairent la notion d’intériorité : Nefesh, Ruah, Leb et Basar .
L’anthropologie juive préfère au concept d’intériorité, terme abstrait, celui de cœur plus concret pour désigner l’être du dedans en qui Dieu parle sur un registre varié de vibrations.
C’est le cœur qui écoute la Parole. L’intériorité est alors une expérience d’écoute de la Parole et non plus un concept…
Dieu parle non pas avec Moïse, mais en Moïse : Ecoute, Israël,…c’est du dedans de ce silence intérieur que surgit la Parole Première : « Je suis l’Eternel, ton Dieu… »
Moïse écoute Celui qui parle en lui…
Ecouter ouvre les portes du cœur, de l’intériorité ; écouter veut dire aussi entendre, comprendre ce qui vient des profondeurs de l’être.
Dans la prière quotidienne, chaque fidèle juif entend cet appel : « écoute » comme si matin et soir, il était au pied du Sinaï.
Cette écoute de la parole, dans l’intériorité, est engagement dans l’extériorité, dans l’action.
L’écoute se traduit en acte : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique et nous y obéirons. » Ex.24,7 ou encore « nous ferons et nous comprendrons »
Salomon demande à Dieu un cœur écoutant pour gouverner et vous connaissez la réponse de Dieu :… « Je te donne un cœur sage et intelligent… » un cœur qui écoute pour agir.
L’éthique juive fait toujours appel à la responsabilité comme l’a montré par exemple Lévinas à travers toute son œuvre.
Le cœur de chacun est un sanctuaire dans lequel Dieu établit sa demeure, y inscrit son Nom, imprononçable, inaccessible et qui pourtant le définit YHWH en nous, un nom caché qu’on n’aura jamais fini d’interroger ; l’Altérité au sein de l’intériorité, la trace de l’Infini dans le fini de nos existences.
C’est dans cette tradition hébraïque que s’enracine la foi chrétienne en la présence de l’Esprit dans le cœur de chaque être humain. : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » 1Co 3,16
Saint Augustin, a pu dire de Dieu qu’il est cet « étrange étranger plus intime à moi-même que moi-même. »
Dans les Confessions, il exprime sa recherche de Dieu dont il découvre la Présence non pas dehors, mais en lui-même : « j’étais au dehors et tu étais au-dedans de moi … »
Il s’agit pour Augustin, de rentrer en soi-même pour y rencontrer le Maître intérieur.
Reconnaître que l’autre, comme moi, est habité par l’Esprit de Dieu change notre regard et particulièrement notre regard d’éducateur.
Toutes ces réflexions inspirées par notre charisme biblique conduisent-elles à faire de l’intériorité une expérience spécifiquement religieuse ?
L’intériorité est-elle une expérience spécifiquement religieuse ?
Pour répondre à cette question sans entrer dans un débat philosophique, je vous rappellerai quelques souvenirs qui approfondiront l’analyse de l’intériorité et justifieront ma réponse à la question posée.
Héritier de l’anthropologie grecque, Descartes distingue la conscience, l’esprit, l’âme …
La conscience est la perception du sujet par lui-même ; la relation d’un sujet à un objet : j’ai conscience de … le mouvement phénoménologique a montré que « la conscience est toujours conscience de quelque chose », le dedans est toujours lié à un dehors ; exemple : la conscience morale est relation aux valeurs, la cs politique est relation à l’organisation de la cité etc …
L’esprit : principe de la pensée et de la réflexion, l’âme désigne le souffle vital de l’esprit …
La conscience, l’esprit, l’âme construisent l’unité du sujet qui s’exprime dans le moi, sans nier l’inconscient parfois survalorisé : l’intériorité n’est pas le sous-sol de la vie psychique. Mais la conscience, l’esprit, l’âme ne désignent pas l’intériorité qui est cette part de nous-mêmes qui transcende le moi car il y a en moi plus que moi.
Alors quelle est cette expérience de l’intériorité en dehors de la foi en Dieu ?
Nos amis athées avec qui nous sommes invités à dialoguer dans la tradition de Sion, reconnaissent qu’ils vivent une expérience spirituelle sans lien avec Dieu.
En cohérence avec mon développement précédent, nous pouvons dire que l’intériorité désigne cet être qui, en nous, échappe à toute définition.
Dans certains cas, la conscience de l’intériorité n’est-elle pas plus profonde que la foi, si la foi reste à l’extérieur de notre être ?
Comte de Sponville écrit : « il y a dans l’homme une dimension proprement spirituelle… On ne peut pas se passer de communion, de fidélité, d’amour, mais pas non plus de spiritualité.
Être athée, ce n’est pas renoncer à toute vie spirituelle…
… La spiritualité est une expérience. En tant qu’athée, mon expérience spirituelle la plus haute est une expérience mystique… Dans mystique il y a mystère. Mystère de quoi ? Mystère de l’être… une partie de la vie spirituelle consiste à habiter ce mystère-là. » ( lu dans A-t-on encore besoin d’une religion ? d’A. Comte Sponville, B. Feillet, A.Rémond éd. De l’Atelier)
En effet, … « l’homme passe infiniment l’homme » (Pascal)
Gorbatchev, lors de sa visite au Vatican, a pu dire au pape JP II ces mots étonnants : « je reconnais qu’il y a dans l’homme une dimension spirituelle qui doit être librement nourrie… »
Le marché, les droits de l’homme ne suffisent pas à définir un sens pour la condition humaine ; la transcendance se découvre au cœur de l’être humain, dans son intériorité.
Il y a toujours une part d’invisible dans ce qui est visible
De nombreux jeunes qui se tiennent à distance de la foi demeurent ouverts à une expérience de vie spirituelle d’intériorité.
Le souci de la spiritualité n’appartient pas en propre au croyant car ce souci est celui de tout homme car comme le Christ le dit à Nicodème : « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. » Jn 3,8
L’intériorité, qu’elle soit biblique ou autre est une des finalités de l’éducation dans la mesure où elle exprime avec l’altérité une dimension fondamentale de l’être humain et de son existence .
Emergence d’un au-delà de la conscience, elle porte en elle-même la conviction que l’homme est bien au-delà de son dire et de son faire, de la conscience qu’il a de lui-même.
Le service d’une telle finalité engage la personne même de l’éducateur et pas seulement sa fonction.
Je retrouve une intuition du Père de Laberthonnière, (1860-1932) : « Il faut que l’éducateur ait ou acquière cette conviction que par son origine comme par sa destinée, il est solidaire de ceux qui lui sont confiés…
Peu importe les méthodes, ce qui compte, c’est la qualité humaine de l’éducateur : « on vaut non par ce qu’on dit ou ce qu’on fait, mais par ce qu’on est… » ( Théorie de l’Education éd. Vrin p.37-39 ).
Nous pouvons maintenant entrer dans la 2e partie de notre réflexion :
Comment construire l’intériorité dans cette société numérique et dégager des axes éducatifs, sachant que les nouvelles technologies peuvent aussi développer l’intériorité et la créativité.
Construire l’intériorité
Comme nous l’avons vu, c’est à la lumière d’une anthropologie inspirée par la Bible et notre charisme que nous essayons de conduire notre réflexion sur l’intériorité, creuset de notre vie où s’engendre la personne, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Le Père Théodore insiste beaucoup sur l’éducation de la conscience parce qu’elle structure peu à peu l’intériorité de la personne, habitée par l’Ésprit.
Rappelons-nous le temps réservé à l’examen de son comportement appelé « les notes » qui je crois demeure sous des formes différentes ; dernièrement des sœurs de Roumanie, anciennes élèves, nous disaient à quel point ce recueillement du matin les avaient aidées à rester solides dans l’adversité du communisme.
De même, le Père Théodore montre l’importance de l’éducation du cœur : il écrit dans un livre intitulé Rayons de Vérité paru en 1874 et dont le style a sans doute vieilli : « C’est le cœur qui est le grand objet de l’éducation chrétienne ; car en lui, comme a dit le Sage, se trouve la racine de la vie. Si cette racine reste enfouie dans la matière, si elle demeure inculte, inerte, latente, la vie céleste ne se développera point ; et quels que soient les étincellements de l’esprit et la distinction des qualités naturelles, l’homme intérieur restera stérile et ténébreux. » p.324
Le père Théodore, très concret, demande toujours une éducation globale de toute la personne dans la patience du temps car l’intériorité se bâtit dans une histoire comme le rappelle la Charte.
Nous la construisons dans notre existence à travers trois relations, relation à moi-même, à l’autre et relation à Dieu, ce que l’on peut exprimer autrement en se rappelant la célèbre formule du père T. de Chardin résumée dans trois verbes: « se centrer, se décentrer, se surcentrer »
Se « centrer » sur soi, afin d’exister dans le monde comme une personne, et non s’y disperser comme une vapeur d’eau. « Se décentrer », pour devenir soi-même grâce à l’amour de l’autre, donné et reçu. « Se surcentrer » sur un plus grand que soi, pour accomplir en nous l’Humanité.
Relation à moi-même « se centrer » sur soi
Apprendre à se soucier de soi-même, à prendre soin de soi, à écouter et à s’écouter, ce qui nécessite recueillement et silence.
Or, dans l’ébullition de notre monde, il est difficile mais impératif d’éduquer nos élèves au recueillement afin qu’ils puissent prendre conscience d’eux-mêmes et puiser en eux-mêmes la force intérieure, l’énergie spirituelle nécessaire à leur action.
Bien des adultes à tous les niveaux, insistent sur le recueillement ; par exemple au Palais de l’Europe, à Strasbourg, le Conseil a réservé une petite salle au recueillement et à la méditation, ce dont nos députés ont grand besoin !
Il nous faut inventer une pédagogie du silence, de l’attention à soi-même.
Apprendre à intérioriser par la relecture du vécu, la mémoire, le dialogue avec soi-même, comme nous y invitent la Bible et la pédagogie talmudique, afin de découvrir le sens de sa respiration !
Je ne peux pas développer tous ces points dans le cadre de cet exposé, mais j’évoquerai simplement l’apprentissage du dialogue avec soi-même.
Intérioriser, c’est s’approprier soi-même ce qui implique souvent un débat avec soi-même nourri par des contradictions qui obligent à se déterminer, à faire l’expérience de sa liberté, à penser par soi-même.
Il s’agit de consentir à s’interroger, à laisser venir en soi la question, ce qui nous met à l’abri de tout dogmatisme et nous permet de découvrir nos limites, nos fragilités et plus profondément notre inachèvement, l’inaccompli en nous.
Comment apprendre aux élèves à dialoguer avec eux-mêmes ? Ce n’est pas simple, mais la pédagogie juive peut nous y aider car la pensée interrogative est le ressort de tout enseignement et de toute démarche éducative
Il s’agit de développer dans sa propre discipline la pédagogie de la question, du questionnement mutuel, du débat dans le but d’enrichir la recherche personnelle et collective.
La connaissance de la pédagogie juive montre qu’il y a deux niveaux de questionnement :
Celui de l’extériorité : Les écoles juives permettent ces questionnements qui fusent dans la classe comme des étincelles dans le but d’éclairer le sujet du cours et engendrent un brouhaha bien connu, selon les collègues qui ont enseigné par ex. à l’école Aquiba à Strasbourg.
Il s’agit de questionner les autres, le monde qui m’entoure, les connaissances qui me sont transmises, les informations ou injonctions déversées chaque jour sur nos écrans…
En un mot, la mission des enseignants- éducateurs n’est-elle pas d’apprendre aux jeunes à interroger cette société-spectacle, l’extériorité dans laquelle ils vivent et qui parfois les piègent : ex de la révolte des jeunes à Londres qui ont avoué leur incapacité à résister aux pressions médiatiques, ont agi sans réflexion, tout étonnés des conséquences de leurs actes Témoignage de Paula (St Mary University)
Celui de l’intériorité qui selon Marc-Alain Ouaknin, me définit comme homme et comme juif : le juif ne pose pas seulement des questions, il est lui-même devenu question.
Apprendre à se questionner, c’est apprendre justement à se remettre en question !
Ouaknin, dans son petit livre Invitation au Talmud rappelle que la manne en hébreu signifie « qu’est-ce ? » On se nourrit de ses questions comme de la manne…
L’homme est un « quoi ? », justement parce qu’il échappe à toute définition…
Toute notre vie nos questions se renouvellent car nos réponses ne sont jamais définitives.
A un autre niveau, la pensée talmudique ne cesse d’interroger les textes, de remonter des affirmations aux questions, nouant ainsi l’extériorité du texte à l’intériorité du sujet questionnant. C’est tout le sens de l’interprétation, qui est dialogue entre le lecteur et l’altérité du texte, quel qu’il soit…
Reprenant une formule de Heidegger, Ouaknin nous dit que « l’homme n’est pas le berger de l’être mais la sentinelle du questionnement, le gardien de la « quoibilité ».
Ce point est fondamental dans notre société car le questionnement éduque la réflexion, l’esprit critique, la mise en distance par rapport à toutes les informations ou injonctions déversées chaque jour sur nos écrans.
Se « centrer » sur soi afin d’exister comme une personne.
La relation à l’autre : intériorité et altérité « se décentrer »
Se soucier de soi-même n’est pas une activité solitaire comme le note Michel Foucault : « Cette activité consacrée à soi-même constitue non pas un exercice de la solitude, mais une véritable pratique sociale » ( le souci de Soi p.67 )
L’ intériorité se construit dans la relation à l’autre différent, dans l’écoute de l’autre, des autres qui font irruption dans mon jardin intérieur.
« Rencontrer l’autre, selon la parole superbe de Lévinas, c’est être tenu en éveil par une énigme »
S’éduquer soi-même à l’altérité est exigeant car l’autre est toujours l’habitant d’une autre rive ; il s’agit de construire des ponts qui relient les rives sans les confondre, des relations qui respectent la distance, l’écart, conditions d’une rencontre possible.
Les réseaux sociaux peuvent ouvrir une grande capacité de rencontres et d’échanges et favoriser l’acte de se décentrer, sans oublier qu’entendre l’appel de l’autre, c’est selon Lévinas, entendre cette parole de Dieu :
« Tu ne tueras point », ce qui signifie « Fais-moi vivre »
N’est –ce pas aussi cette même parole que nos élèves nous adressent : « Fais-moi vivre »,
ici, se joue toute la relation éducative ou créative dans la réponse que nous donnons concrètement à cet appel.
L’écoute des différents appels qui nous sont adressés construit des rapports entre l’intériorité et l’extériorité, l’appel et la réponse
L’histoire biblique nous donne quelques exemples de cette invitation à sortir de soi pour aller à la rencontre de l’altérité, de l’inattendu, de l’extériorité .
La psychanalyse, Marie Balmary, (dans son livre : Le Sacrifice interdit p.133) traduit ainsi l’appel de Dieu adressé à Abraham, mais à chacun de nous : « Va vers toi ; va pour toi ; » « pour ton bien, pour ton bonheur » commente Rachi… « Va pour toi » : va vers ton propre être intérieur ; c’est un appel à quitter nos conditionnements multiples pour reconnaître en nous cet être intérieur, habité par l’Esprit.
Se « décentrer » pour devenir soi-même, grâce à l’amour de l’autre, reçu et donné
Relation à Dieu « se surcentrer » Ecouter l’appel de l’Autre
Se surcentrer nous renvoie à la dimension transcendante de l’intériorité, à la présence de l’Esprit qui nous habite et qui nous appelle à aller vers nos frères.
Maître Eckhart(1260-1328) évoque une parabole de Jésus racontée dans l’évangile de Luc (19,11) qui commence ainsi : « Un homme noble partit vers un pays lointain pour y recevoir un royaume et revenir ensuite ».
Maître Eckhart propose un itinéraire qui va du dehors au-dedans et du dedans au dehors.
Partir, c’est lâcher prise, quitter les choses extérieures pour découvrir le royaume au-dedans, la présence de l’Esprit créateur en soi qui nous pousse alors à revenir pour affronter de nouveau le dehors. Ce retour au dehors est chargé de nos responsabilités à l’égard de nos frères.
Selon Maître Eckhart, cet itinéraire nous entraîne dans un mouvement en spirale qui peu à peu dévoile en nous la présence de Dieu dans la présence des autres, l’Invisible dans le visible, l’Infini dans le fini.
L’intériorité se noue avec l’Altérité car elle se révèle dans l’ouverture de la personne à la transcendance, dans sa relation à l’au-delà d’elle-même, à la Réalité Ultime, quel que soit le nom que je lui donne.
Chercher Dieu, c’est donc chercher cette Source sur les chemins désertiques de nos existences, source parfois « ensablée » selon l’expression de Maître Eckhart, par toutes les scories quotidiennes ; mais cette Source irrigue notre histoire.La tradition judéo-chrétienne ouvre un chemin concret à la reconnaissance de cette Présence du tout Autre dont il faut chercher la trace, écouter la voix dans l’appel de l’autre des autres.
L’Evangile nous révèle à la fois la transcendance de Dieu et sa proximité dans le visage du Christ, reconnu en chacun de nos frères.
Se « surcentrer » sur un plus grand que soi, pour accomplir en nous l’Humanité»…
Ces trois mouvements d’intériorisation tissent et structurent la personne sur le chemin de l’existence qui conduit l’itinérant vers un au-delà de lui-même, dans une interrogation sur le pourquoi dont il se nourrit.
Chemins d’intériorité
Relation à moi-même :
Eveil et formation de la conscience
Le souci de soi, l’estime de soi et la confiance en soi.
Initiation à la connaissance de soi-même
Découverte de sa propre intériorité, de son histoire…
Prendre conscience du rôle de la mémoire dans la construction de la personne.
Le silence en vue de la réflexion, du dialogue avec soi-même, de la relecture de son expérience.
Initier à l’autonomie, à la responsabilité, aider à la prise d’initiatives
Discernement et esprit critique
Désir d’apprendre et de partager. Goût de l’effort
Relation à l’autre
Apprendre à vivre ensemble
Le respect de l’autre et l’estime des différences
Le dialogue à différents niveaux
La construction des ponts
La compréhension de ce qui construit et anime l’autre dans son engagement de vie
La solidarité
La relation de respect et de confiance entre élève et enseignants
Souci de valorisation
Questionnement mutuel
Encourager le travail de groupes
Favoriser l’écoute par la bienveillance
Ouvrir à l’extériorité (sociétés, cultures, religions, philosophies… choix de vie)
Quelques suggestions concrètes
Inviter chaque professeur principal à organiser avec sa classe et ses collègues une journée de l’intériorité dans ou hors de l’établissement (relecture de vie personnelle ou de groupe, témoignages, ballades dans la nature, expositions)
Au Primaire, faire l’accueil du matin en musique ; fond musical permanent afin de permettre aux élèves de rester inactifs, et/ou en méditation, recentrage
Ouvrir la chapelle de manière permanente avec musique de fond.
Créer des temps et des espaces favorables à une démarche d’intériorité (autres que la chapelle ) Par exemple 5 minutes avant le 1er cours du matin
Mettre en place une zone de silence qui permettrait aux élèves un temps de recueillement, de relecture, de discernement.
Apprendre le silence de différentes manières : pourquoi pas un « sas de décompression » à l’entrée de l’école ?
Il importe de « désangoisser » le silence… de se désencombrer… Comment ?
Le projet pédagogique, éducatif, pastoral doit intégrer cette notion de silence pour une vie intérieure.
Donner moyens de découvrir progressivement les bienfaits du silence, par exemple prendre comme thème d’année le Silence, imaginer des stratégies adaptées aux différents niveaux des élèves, y impliquer élèves, enseignants et personnels.
*Dans l’espace rencontres réservé à la pastorale, prévoir des temps de méditation et de relecture de vie
*Cours de culture biblique.
*Education artistique
*Journée de réflexion sur la Shoah, le train de la Mémoire
*Rencontre des contemplatives à la Solitude
* Célébrations, temps forts.
Conclusion
C’est sur la route de notre monde d’aujourd’hui que le voyageur, s’il est à l’écoute de l’Esprit qui l’habite, rencontrera cet « au-delà de lui-même ; peut-être dans la présence du Maître intérieur ou dans la découverte d’un royaume vers lequel il part mais d’où il revient ou dans la Trace de Dieu en lui ou peut-être encore dans son absence, car vivre la foi, n’est-ce pas, bien souvent : vivre l’absence de Dieu en sa présence ?
Il nous faut donc apprendre aux élèves à cheminer ensemble dans ce monde où les hommes ne sont plus installés dans des convictions définitives, mais en route vers des espaces divers.
C’est bien là toute la mission que vous avez reçue de Notre-Dame de Sion ; mission explicitée dans la Charte de nos établissements.
Dans cet esprit, je vous invite à écouter et à entendre l’appel de Jérusalem, le cœur de Sion : Ville que nous voulons espérer sans frontières entre l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors, Ville où, dans ses murs s’ouvriront des portes.